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10 avril 2011 7 10 /04 /avril /2011 13:20

 

Retrouvez cet article mis à jour dans notre livre PDF gratuit.

 


Nous sommes en avril 1943.

Raoul Follereau aura 40 ans dans quelques semaines.


http://files.myopera.com/Prayerman/blog/follereau.jpgPour la première fois de sa vie, celui qui prétendra plus tard avoir consacré toute sa vie à la défense des lépreux anime une conférence à Annecy dans le but de collecter des fonds pour le financement d'un projet de  village à Adzopé, en Côte d'Ivoire. Selon l'histoire "officielle" de Raoul Follereau - celle promue par la Fondation homonyme et ses hagiographes autorisés - cette conférence d'avril 1943 marque les débuts concrets de sa vocation d'"Apôtre des Lépreux".

 

Pourtant, une analyse plus approfondie du contexte nous amène à relativiser le propos : si, effectivement, le projet d'Adzopé présentait une dimension généreuse et caritative incontestable, il présentait aussi (et surtout ?) aux yeux de Raoul Follereau une dimension politique extrêmement forte, à ce point qu'il est possible de se demander si ce qui intéresse Raoul Follereau, c'est le sort des lépreux, ou bien la contrepartie politique qu'il attend en retour de l'aide qu'il leur apporte.

 

Cette confusion où des moyens d'ordre culturels ou religieux sont mis au service d'une finalité politique, essentiellement ultranationaliste, n'est pas nouvelle. Elle est même constante, dans la vie de Raoul Follereau. Cela mérite quelques brefs rappels.


Rappels des initiatives à finalité ultranationaliste de Raoul Follereau

http://mesi07.com.ar/Medallas/M1632.jpgLorsqu'en 1930 Raoul Follereau expose sa doctrine politique, largement inspirée par le maurrassisme (voir ici sa filiation intellectuelle avec Charles Maurras) et le fascisme italien (voir ici son idolâtrie pour Benito Mussolini), il expose comment La Ligue d'Union latine qu'il a fondée avec quelques camarades (dont Michel Rameaud, futur beau-père d'André Récipon), a pour ambition, derrière un objectif officiel d'ordre littéraire et artistique, de promouvoir des conceptions réactionnaires et ultracléricales situées très à droite sur l'échiquier politique de l'époque : antiparlementarisme, antiprotestantisme, ultramontanisme, lutte farouche contre l'héritage de 1789, mais également contre les libéraux, les socialistes, les radicaux, les francs-maçons, pour la restauration des valeurs conservatrices telles Dieu & la Patrie, la Famille, le Travail, etc... (voir ici notre article sur la pensée politique de Raoul Follereau). Déjà, à l'époque, Raoul Follereau revendique l'utilisation de l'art, de la musique, du cinéma ou de la littérature comme des outils au service d'une finalité parfaitement assumée de "propagande française".

En 1931, lorsque Raoul Follereau revient de son voyage en Amérique du Sud, il s'investit massivement dans la création de bibliothèques françaises gratuites à l'étranger dans le but assumé de mieux faire connaître "sa" France, la "vraie" France, autrement dit, le "pays réel" cher à Charles Maurras, celui dont Étienne Thévenin affirme avec raison qu'il fut le "maître à penser" de Raoul Follereau. Pour cela, Raoul Follereau n'hésite pas à trier les ouvrages destinés à être envoyés à l'étranger "d'un point de vue national et moral" et qualifie lui-même son œuvre de "propagande française" (voir ici le résumé de sa vie entre 1925 et 1940).

http://www.africamission-mafr.org/image3/foucauld001.jpgEn 1937, le thème de la latinité s'essouffle. Alors qu'il revient d'un pèlerinage effectué sur les traces de Charles de Foucauld à la suite d'un cycle de nombreuses conférences en Algérie au cours desquelles nous avons démontré qu'il tenait des propos antisémites (ici), Raoul Follereau crée les Fondations Charles de Foucauld et utilise la notoriété grandissante de ce dernier pour promouvoir la présence coloniale française en Afrique et plus particulièrement au Sahara ("Église française du Sahara"). Pour Raoul Follereau, les missionnaires catholiques français, tout comme les colons et les militaires, sont les héros de la "vraie" France car ils portent le drapeau tricolore et le croix en "terre barbare". Nous avons vu que plus tard, Louis Massignon qualifiera Raoul Follereau dans ses correspondances privées de "marchand du temple" et lui reprochera de détourner le véritable message spirituel du Père de Foucauld à des fins strictement politiques (voir notre article ici).

A partir de 1940, Raoul Follereau est convaincu, comme le maréchal Pétain, que la défaite française de mai/juin est la conséquence directe de ce qu'il estime être le délitement moral et intellectuel de la France initié par la Révolution française de 1789. Raoul Follereau multiplie alors les conférences de soutien au maréchal Pétain (entre autres : Ce que le monde doit à la France, mais également des conférences sur Charles de Foucauld et la présence française dans le Sahara, etc.) au cours desquelles il se fait l'avocat des "principes moraux de la Révolution Nationale" dans le but de contribuer, lui aussi, au "redressement national" impulsé par le régime de Vichy. C'est dans ce contexte de "redressement national" que les premières actions de Raoul Follereau en faveur d'Adzopé s'inscrivent (voir ici les liens entre Raoul Follereau et le pétainisme).


Adzopé à l'ombre du régime de Vichy

http://www.web-libre.org/medias/img/articles/17e23e50bedc63b4095e3d8204ce063b-2.jpgRaoul Follereau connait l'ordre des Sœurs Missionnaires de Notre-Dame des Apôtres depuis la fin des années trente. En 1942, après avoir vécu quelques temps à Lamastre, en Ardèche, (qui se trouve être, comme par hasard, dans le fief électoral d'un autre national-catholique comme lui, Xavier Vallat, antisémite notoire, Commissaire Général de l'Institut aux Questions Juives du régime de Vichy de l'époque), Raoul Follereau se retrouve employé en qualité de jardinier chez les Sœurs Notre Dame des Apôtres, dans un de leur couvent de métropole situé dans la banlieue lyonnaise, à Vénissieux.

Or, depuis la fin des années trente, la supérieure, la Révérende Mère Eugénia, a entrepris un ambitieux chantier en Côte d'Ivoire : construire à Adzopé un village réservés aux malades atteints de la lèpre. La lèpre est alors une maladie aussi dramatique qu'incurable. La lèpre est aussi une maladie socialement honteuse dont nul ne sait réellement si elle est contagieuse ou pas. Les lépreux sont donc victimes de mesures d'isolement et d'exclusion qui les condamnent inéluctablement à la honte et à une fin de vie miséreuse.

http://storage.canalblog.com/16/99/249840/15813691_p.jpgSelon la geste "follereauienne", c'est lors d'une conversation avec Mère Eugénia au cours de laquelle cette dernière lui confiait ses difficultés à collecter l'argent dont elle avait besoin pour son projet de village que Raoul Follereau lui aurait répondu: "l'argent, je m'en occupe".

 

Il faut dire que collecter de l'argent, Raoul Follereau sait faire. Conférencier hors pair, il connait les ficelles de l'art oratoire pour séduire, émouvoir et convaincre son auditoire. Ses talents de tribun sont unanimement salués. C'est d'ailleurs devenu son gagne-pain : depuis le début des années trente, Raoul Follereau multiplie les interventions partout où on l'invite sur des thèmes aussi variés que son voyage en Amérique du Sud, la Grèce, l'Espagne ou l'Italie, toutes trois qualifiées de "foyer de notre race", la légende du Parnasse, la psychologie de l'esprit latin, l'épopée de l'Aéropostale de Mermoz, le Chevalier du Ciel, Charles de Foucauld, ce "Chevalier des Sables" qui porte haut le drapeau national et le croix, etc.

 

Pour bien saisir le sens profond des conférences de Raoul Follereau, il convient de revenir sur ses convictions politiques. Raoul Follereau fait partie des "nationaux-catholiques" sous influence maurrassienne qui sont animés par une certaine vision de la France où Croix et Drapeau sont indissociables. Pour les partisans de cette tendance, la France ne fut belle et glorieuse que jusqu'en 1789, date à partir de laquelle elle a renié sa mission mystique et catholique : être la fille aînée de l'Église sous la direction d'un monarque de droit divin oint de l'huile sainte obtenue miraculeusement par l'évêque saint Rémi lors du baptême de Clovis.

http://www.babelio.com/users/AVT_Charles-Maurras_4401.jpegIl en résulte, dans l'esprit de Raoul Follereau, que la France ne peut plus être que catholique, blanche et expansionniste. Elle a reçu pour mission d'étendre la civilisation latine dont elle serait, selon Raoul Follereau, la meilleure héritière. D'où sa Ligue d'Union latine qui a pour objet de lutter "contre toutes les barbaries et tous les paganismes" tels l'athéisme, l'individualisme (notamment d'inspiration germanique, inspiré par Luther), le libéralisme anglo-saxon, la franc-maçonnerie, toutes celles et tous ceux qui sont victimes ou auteurs des théories du siècle des Lumières ou encore du complot israélite visant à prendre possession du monde par l'intermédiaire des bolcheviques, ... bref ... l'Anti-France de Charles Maurras.

Le régime de Vichy reprend l'essentiel de cette idéologie. Il faut reconnaître qu'une partie importante des catholiques français, notamment certains prélats, verront d'un bon œil l'avènement, en 1940, du régime de Vichy. Rien d'illogique là dedans. Le maréchal Pétain jouit d'un immense prestige. À l'exception de Franchet d'Espérey dont les capacités physiques et intellectuelles sont très diminuées, il est le dernier maréchal de la première guerre encore en vie et la propagande se fera fort de le faire passer pour LE vainqueur de Verdun (ce qui est discuté d'un point de vue historique). Son régime bénéficie en outre d'une apparence de légitimité après le vote des pleins pouvoirs par les parlementaires réunis à Vichy, le 10 juillet 1940.

 

Il convient également de souligner que les catholiques français, particulièrement les plus radicaux, ont encore en mémoire les luttes religieuses d'avant 1914. L'instauration par le maréchal Pétain d'un régime qui, selon toute probabilité, leur sera moins défavorable que les gouvernements successifs de feu la IIIème République va donc naturellement dans le sens de leurs attentes. Ces circonstances amènent Monseigneur Gerlier, archevêque de Lyon à affirmer, en novembre 1940, que "Pétain, c'est la France et la France, c'est Pétain". Ce qui ne l'empêchera pas, moins de deux ans plus tard, en septembre 1942, lorsque l'illusion pétainiste se sera dissipée, de protester officiellement contre les rafles auxquelles les Juifs sont exposés et de prendre par la suite diverses initiatives pour leur sauvetage. D'ailleurs, il recevra à titre posthume la médaille des Justes en 1980.

Raoul Follereau, lui n'est pas catholique. Il est national-catholique. Sa fidélité au maréchal restera donc intacte, à l'image de celle de son fils spirituel, André Récipon, fervent pétainiste encore de nos jours (voir nos articles ici et ici) malgré l'indignité et l'ignominie dans lesquelles se vautrera, dès 1940, le régime de Vichy.

 

Or, il faut savoir qu'avant que Raoul Follereau ne s'y penche, le régime de Vichy avait déjà soutenu le projet de Mère Eugénia. Cela peut expliquer pourquoi Raoul Follereau bénéficie, pour ses conférences de 1943 et 1944, du total soutien matériel et logistique des autorités en place.


http://img.over-blog.com/300x435/2/45/42/71/philippe-4/22-copie-140.jpgC'est donc avec le soutien du régime de Vichy, et en totale conformité avec ses convictions politiques que nous venons de résumer, que Raoul Follereau entreprend de montrer le "vrai visage de la France" comme il le dit souvent lui-même. Or, nous l'avons vu, "sa" France ne peut être que catholique. Elle se doit donc d'être généreuse. Le projet d'Adzopé tombe pour ainsi dire à pic : Raoul Follereau va s'en saisir pour démontrer que la vraie France, la France de Vichy, celle de la collaboration prônée par Charles Maurras, est généreuse et charitable. La France de Vichy aime son prochain, la France de Vichy aide les lépreux. Voilà toute l'ambiguïté des conférences de Raoul Follereau : apparemment généreuse, son action s'inscrit dans une démarche globale de propagande qui vise à promouvoir de façon subliminale des conceptions politiques nauséabondes, initialement vichystes puis, comme nous le verrons ci-dessous, colonialistes.

 

Cette dualité d'objectifs particulièrement ambigüe va protéger Raoul Follereau. Ainsi, à la Libération, il ne sera pas inquiété contrairement à certains de ses amis. Dorénavant, écrit Etienne Thévenin, Raoul Follereau prendra soin de taire ses convictions politiques et ne se risquera plus à exprimer trop ouvertement ce qu'il pense.

 

Nous allons cependant voir que son combat pour le village d'Adzopé se poursuit tout au long des années quarante et présente, à nouveau, des signes flagrants de l'utilitarisme politique que Raoul Follereau recherche à travers ses initiatives culturello-caritatives.

 

 

Adzopé : la cause des lépreux dévoyée au service d'une stratégie colonialiste

Nous avons eu la chance de pouvoir mettre la main sur un document datant probablement de la fin des années quarante (le document n'est pas daté précisément). Ce document nous a très largement inspirés pour la rédaction de cet article. Il s'agit d'un fascicule que nous avons scanné et que vous pouvez lire en ligne dans son intégralité ici.

http://htmlimg2.scribdassets.com/3yr8khxr9cx13f4/images/1-17fe0284bf.jpg

 

La lecture de ce document rédigé par Raoul Follereau est édifiante et illustre remarquablement de quelle façon le projet caritatif d'Adzopé est utilisé par Raoul Follereau dans le cadre de ses convictions nationalistes et colonialistes.

 

Tout d'abord, la page de couverture mérite quelques mots car elle est riche de symboles. On y voit le contour du continent africain entouré des couleurs bleu-blanc-rouge du drapeau français. Au cœur de cette Afrique sur fond tricolore, ressort la Croix. D'ores et déjà, la symbolique qui caractérise les idées ainsi que le parcours national-catholique de Raoul Follereau est présent : Dieu et Patrie ou autrement, dit, le Drapeau et la Croix. Comme une synthèse, le slogan qui figure en bas de page récapitule l'ensemble : "La ville de la Charité Française".

 

La première partie (pages 2 à 11) de ce document est strictement caritative. Ici réside toute la noblesse et toute la beauté du projet porté par les Sœurs missionnaires de Notre-Dame des Apôtres. C'est cette dimension là que les hagiographes de Raoul Follereau souhaiteraient retenir comme si elle était exclusive de toute autre lecture.

 

C'est la seconde partie qui révèle que ce projet caritatif s'inscrit dans une stratégie colonialiste.

 

Déjà, en page 10, des prémisses se laissent entr'apercevoir. Raoul Follereau y écrit :

 

"Ainsi se poursuit au cœur de notre Afrique une belle œuvre chrétienne et française".

 

Nous pouvons d'ores et déjà relever le déterminant possessif "notre Afrique" qui exprime bien l'idée que l'Afrique est une terre où les Français sont chez eux. Nous relevons également l'usage immodéré de l'adjectif "français". Car, pour Raoul Follereau, Adzopé n'est pas la "ville de la Charité" tout court. Non. Pour Raoul Follereau, Adzopé est la ville de la "Charité française". Adzopé est donc une œuvre avant tout "française". Il est important, pour Raoul Follereau, que les gens sachent que c'est la France qui est à l'œuvre ici.  Autrement dit, Raoul Follereau ne travaille ni pour Dieu, ni même pour les lépreux. Avant toute chose, son objectif est la gloire de la France, de sa France. Les pages suivantes vont confirmer et accentuer le trait.

 

Page 11, Raoul Follereau rappelle la vocation mystique et missionnaire qui incombe à "sa" France, fille aînée de l'Église :

 

"De 1943 à 1946, plus de 150.000 Français ont participé à l'érection d'Adzopé. Par eux, le monde aura compris, et l'histoire enregistrera, que la France (...) n'a point renoncé à sa mission civilisatrice, à son apostolat missionnaire"

 

Raoul Follereau rappelle ainsi l'œuvre entreprise sous le régime de Vichy (cf. supra nos propos sur le sujet ci-dessus).

 

Page 12, Raoul Follereau explique que les maisons du village d'Adzopé, appelées pavillons, seront organisées et nommées de telle façon que l'ensemble représente une carte miniature de la France métropolitaine :

 

"À Adzopé, toutes les villes de France seront présentes. Sur chacun des pavillons s'inscrira le nom d'une cité française qui l'aura offert à l'occasion d'une de nos conférences. Et ils seront groupés de telle sorte que le Pavillon de Lille se trouvera à la pointe nord de la ville des lépreux, celui de Marseille au sud, ceux de Bretagne, à l'ouest, ceux de l'Alsace, à l'Est. Ainsi referons nous idéalement, au cœur de l'Afrique noire, une carte de France, une image symbolique de la Mère-Patrie, où chaque maison sera une ville de chez nous et chantera le même cantique de notre charité".

 

Le paragraphe qui précède, et plus particulièrement la dernière phrase illustre bien l'ambition de Raoul Follereau : implanter la France, la Mère-Patrie, au cœur de l'Afrique noire, y compris via les noms attribués aux pavillons dont la disposition générale doit refléter la France métropolitaine. Il illustre tout aussi clairement la contrepartie que Raoul Follereau attend des bénéficiaires de sa générosité : "chaque maison chantera le cantique de notre charité". Car la générosité de Raoul Follereau n'est que rarement désintéressée.

 

Faisant écho à la notion de Mère-Patrie à laquelle il vient de faire référence, Raoul Follereau continue son idée, quitte à verser dans le paternalisme :

 

"Et les lépreux sentiront davantage qu'ils sont les fils adoptifs de la France."

 

Cette phrase n'est pas anodine et démontre le complexe de supériorité dont souffre Raoul Follereau. En effet, Raoul Follereau est convaincu, depuis longtemps déjà puisque cet élément se trouve déjà dans ses conférences de 1930, que la civilisation latine dont la France serait la meilleure représentante est la forme suprême de civilisation et qu'aucune ne lui est comparable (voir ici la doctrine politique de Raoul Follereau). C'est donc habité par cette conviction d'être le représentant d'une civilisation supérieure que Raoul Follereau se porte auprès des peuples africains et s'adresse à eux comme s'il s'agissait de peuplades inférieures.

 

Selon cette idéologie colonialiste fortement marquée par les théories raciales de la fin du XIXème siècle, il incombe à l'homme blanc, du fait de sa supériorité civilisationnelle, de se préoccuper du sort des autres. En contrepartie de cette "générosité", l'être inférieur se doit d'être reconnaissant et de manifester sa déférence vis-à-vis de son bienfaiteur. Ainsi, en page 14, une photographie retient notre attention. Nous pouvons y voir des enfants, alignés en deux rangées face au drapeau français. Avec, en légende :

 

"Inauguration des pavillons provisoires d'Adzopé. Le salut aux couleurs par les enfants du village"

 

Cet élément d'information doit être mis en lien avec une autre information que nous trouvons plus tard dans le fascicule (pages 17 et 18) : au centre du village, point de convergence de tous les axes et de toutes les attentions, trône la statue de Notre Dame. Encore un rappel du Drapeau et de la Croix. Pour que les petits lépreux sachent bien, tous les jours de leur vie, qui sont ici les maîtres. Pour Raoul Follereau, l'Afrique n'appartient pas aux africains. Pour lui, ces pauvres petits africains doivent allégeance à la France pour la remercier de les avoir sauvés.

 

Dans la même page (17), Raoul Follereau insiste sur le fait que le projet d'Adzopé n'est pas un projet caritatif comme les autres mais avant tout un acte politique :

 

"Pour chacun [RF parle ici des donateurs français], Adzopé doit être un acte de Foi dans les destinées nationales et apostoliques de la France"

 

Rappelons-nous bien, en lisant cette phrase et plus particulièrement les mots "destinées nationales de la France" que c'est un maurrassien qui écrit, avec tout ce que cela suppose comme définition de la "vraie France" (le "pays réel"), et, a contrario, de l'Anti-France.

 

Plus loin, pages 19 & 20, Raoul Follereau poursuit :

 

"Groupés autour de la statue de Notre-Dame des Apôtres, les lépreux d'Adzopé nous attendent. Ils tournent leurs yeux pleins de tendresse et de confiance vers la Grande Dame, l'Immaculée qui est venue de France pour régner sur sa terre française. Puis leurs regards se portent, au delà des sables et des océans, vers la Mère-Patrie, vers le pays béni d'où leur sont arrivées celles qui disent : "Nos Frères Les lépreux"."

 

Relevons au passage la nouvelle mention de l'Afrique, "terre française" précédée du déterminant possessif "sa Terre française" et la désignation de la France sous l'appellation "Mère-Patrie". De façon plus générale, nous retrouvons l'amalgame, permanent chez Raoul Follereau, entre sa Foi catholique et sa Foi patriotique. Raoul Follereau ne fait aucune différence entre les deux tout simplement parce que, selon lui, il n'existe aucune différence entre les deux. Pour Raoul Follereau, les qualités de Français et de catholique sont indissociables.

 

Relevons également le phénomène d'appropriation patriotique de la Vierge Marie. Pour les catholiques, la mère du Christ est, d'un point de vue strictement généalogique, une juive descendante de la maison de David,  Roi d'Israël. Elle devient, sous la plume de Raoul Follereau, "l'Immaculée qui est venue de France pour régner [en Afrique] sur sa terre française". Raoul Follereau fait probablement allusion aux apparitions mariales de Lourdes ("Que soy era immaculada councepciou" y dit-elle à Bernadette) mais son national-catholicisme lui fait oublier qu'il existe de nombreux autres lieux d'apparition mariale ailleurs qu'en France.

 

Toujours page 20, nous lisons à nouveau l'éternelle reconnaissance dont sont redevables ces bénéficiaires de la générosité "française" :

 

"Et les lépreux [une fois le don des Français reçu] (...) lèveront les yeux pleins de larmes vers le drapeau de la France qui flottera au-dessus d'Adzopé et qui, une fois encore, aura apporté dans ses plis la civilisation chrétienne faite de justice, d'amour et de fraternité."

 

Pour apprécier à leur juste valeur les notions de "justice, d'amour et de fraternité" de la France nationale de Raoul Follereau, vous pouvez utilement vous référer à la doctrine proférée par André Récipon, héritier spirituel choisi par Raoul Follereau en personne et futur fondateur puis président d'honneur de la Fondation Raoul Follereau (lire notre article ici).

 

Pour finir ces extraits, citons un dernier passage qui figure page 24 :

 

"Miracle de la charité française, infatigable, sans cesse nouvelle et plus vivante, Vertu, Grandeur et Gloire de la France".

 

Éloquente conclusion que nous sommes heureux de trouver sous la plume de Raoul Follereau : "Vertu, Grandeur et Gloire de la France". Voilà la véritable finalité ultranationaliste poursuivie par Raoul Follereau.

 

 

La véritable charité est un acte gratuit et désintéressé

L'initiative de Raoul Follereau peut paraître louable, a priori.

 

Pourtant, nous la trouvons particulièrement ambigüe du fait de la motivation politique sous-jacente et des contreparties attendues. Plus insidieuse que la colonisation par les armes ou par la force, la colonisation par la charité est l'arme de Raoul Follereau pour asseoir la puissance française en Afrique.

Nous voyons bien dans ce document que, pour Raoul Follereau, le projet d'Adzopé doit être le moyen de glorifier la France, de faire rejaillir sur les missionnaires français une éternelle reconnaissance. et d'asseoir la présence de la France, de son Drapeau et de sa Croix, en terre africaine.


La charité de Raoul Follereau n'est pas pure parce qu'elle n'est pas gratuite, elle n'est pas désintéressée. La Charité de Raoul Follereau a pour effet de rendre débiteur le bénéficiaire.

Sans doute que Raoul Follereau aurait eu intérêt à méditer davantage cette phrase tirée de la Bonne Nouvelle selon saint Matthieu : 

 

"Quand donc tu fais l'aumône, ne fais pas sonner de la trompette devant toi, comme le font les hypocrites dans les synagogues et dans les rues afin d'être glorifiés par les hommes ; en vérité, je vous le dis, ceux-là ont reçu leur récompense. Pour toi, quand tu fais l'aumône, que ta main gauche ne sache pas ce que fait ta main droite afin que ton aumône soit dans le secret ; et ton Père, qui voit dans le secret, te le rendra." (Matthieu, VI, 2-4).

 

 

 

La léproserie d'Adzopé honore-t-elle la mémoire du maréchal Pétain ?

Nous achevons cet article sur un élément dont nous ne sommes malheureusement pas certains en l'état actuel de nos recherches mais que nous livrons pour information à nos lecteurs. Si certains d'entre eux disposent d'informations utiles sur ce sujet, elles seront bien entendu les bienvenues.

 

En pages 18 et 19 du livret, une carte du village d'Adzopé est reproduite. Vous pouvez trouver ce plan en téléchargement ici.


 

Extract03.jpg

 

Le village est organisé de façon très géométrique. Au centre, la statue de Notre-Dame des Apôtres trône au milieu d'une place à partir de laquelle partent huit boulevards. Chacun de ces huit boulevards est bordé de chaque côté par deux rues.

 

A l'extrémité d'un des huit boulevards, légèrement à l'extérieur du village, cinq bâtiments sont prévus :

- une église ;

- la maison des Sœurs ;

- une école nommée Michel Rameaud (du nom de l'ami de Raoul Follereau, cofondateur avec lui de La Ligue d'Union latine chez lequel Raoul Follereau a vécu durant la première partie de la seconde guerre mondiale) ;

- une léproserie / dispensaire au nom de Raoul Follereau ;

- une maternité dont le nom est illisible.

 

Les 16 rues qui longent les 8 boulevards portent des noms de saints de l'église catholique :

- dix des douze apôtres : Simon-Pierre, André, Jacques, Jean, Matthieu, Barthélémy, Thomas, Simon, Philippe, Thaddée (un seul Jacques alors qu'ils sont deux et ni Judas, naturellement, ni Matthias nommé pour le remplacer) ;

- sainte Marie ;

- saint François-Xavier ;

- saint Paul ;

- sainte Marie-Madeleine ;

- sainte Jeanne d'Arc ;

- sainte Catherine.


Les huit boulevards, eux portent les noms suivants, dont certains sont encore vivants :

- Raoul Follereau (oui, Raoul Follereau est le seul à bénéficier de deux mentions dans le projet ...) ;

- le pape Pie XII ;

- sainte Thérèse de l'Enfant Jésus ;

- Monseigneur Jean-Baptiste Boivier (prélat français de Côte d'Ivoire de l'époque) ;

- Père Augustin Planque (fondateur des Sœurs missionnaires Notre-Dame des Apôtres) ;

- Charles de Foucauld ;

- Vénissieux (ville du couvent où les Follereau logèrent pendant la guerre à partir de fin 1942) ;

- le dernier est malheureusement difficilement lisible : voici la partie correspondante scannée et grossie :

 

Extract01.jpg

 


Il est difficile de lire, néanmoins, nous avons une petite idée ...

 

Extract02

 

Rappelons juste que ce fascicule date de la fin des années quarante. Bien après la guerre. Néanmoins, quand on connait Raoul Follereau et sa fidélité toujours maintenue à ses convictions pétainistes, l'hypothèse est plus que sérieuse ... Si un de nos lecteurs connait a la solution à cette énigme de ce si mystérieux huitième boulevard, qu'il n'hésite pas à nous contacter.

 

 

 

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